Je suis heureux de voir Gudbergur comparé à Haneke, il y a longtemps que j'avais fait le rapprochement... Ah oui, à propos de Haneke, justement, j'ai vu sa mise en scène du Cosi fan tutte vendredi dernier sur ARTE. J'ai toujours beaucoup aimé cet opéra et la vision de Haneke m'a bien plu. On peut voir la version intégrale ici... J'en conviens, tout cela n'est pas très islandais, mais il n'y a pas que l'Islande, dans la vie, il y a aussi les alternances du coeur :)
Cosi fan tutte, Mozart, version de Haneke diffusée sur ARTE
Mais voici l'article concernant DEUIL de Gudbergur Bergsson, publié aux Editions Métailié :
Mourir, cela n'est rien, mourir, la belle affaire... Mais vieillir...oh vieillir!
Un vieil homme seul attend la mort.
Parfois il se raconte, parfois c'est un narrateur extérieur qui mène le
récit. Cet homme n'a pas de nom. Il est sans doute un homme ordinaire,
anonyme, sans destinée particulière puisque condamné à mourir, de toutes
façons. Le quotidien qu'il raconte (« 22 décembre, l'année n'a aucune importance »)
ou qui est raconté n'impressionne pas, semble figé, presque ritualisé.
Un non-événement. A travers ces lignes, un grand silence, de l'ennui,
comme si finalement rien ne se passait plus désormais dans cette vie,
presque déjà « morte ». Si le sifflement de la bouilloire sur la
gazinière ne rythmait pas les instants qui passent, comme un souffle
(voire un râle) respiratoire, on pourrait croire que cet homme est déjà
mort.
Veuf depuis longtemps, son existence a perdu sens et il ne la mène plus que pour mieux parvenir à son échéance et s'en libérer. « Plus il vieillit, plus il s'accroche à la vie, même s'il ne fait rien pour prolonger la sienne. » Sans
distractions désormais, il est dans un état d'inaction, où les
mouvements deviennent rares et minimalistes. Chaque geste est lent,
mesuré, presque sans effet. Il a déjà cessé de vivre sans pour autant
être encore mort, comme enfermé dans un sas, contraint par une mémoire
et une lucidité qui défaillent et un corps délesté de toute force
musculaire ; presque prêt à lâcher prise pour disparaître. Et c'est ce « presque »,
cette mise en œuvre du processus de destruction, cet état intermédiaire
que l'on nomme « déchéance » qui forment l'ensemble de ce récit âpre,
violent, impitoyable mais extrêmement réaliste. « Les gens fouinent
dans les plis de la maladie et de la déchéance. Il y a quelque chose qui
les attire, une puanteur, odeurs de sueur, de pied, haleine fétide,
odeur d'urine, ce qui nous attend : la vieillesse. »
En attendant la mort, le vieil homme se
souvient, lorsque sa mémoire fonctionne, et évoque des souvenirs
imprécis sur son épouse, sa déchéance rapide et le deuil qui suivit (la
mort est rarement digne), sur sa relation particulière aux femmes, sur
son voisin, son travail, ses enfants. De vagues réminiscences parfois si
confuses qu'on ne sait plus exactement si le vieillard rêve. Entre
veille et sommeil, ne sachant plus s'il fait jour ou si c'est la nuit,
il se raconte, la raison troublée, sans cohérence véritable si ce n'est
qu'en égrenant son passé, il se rapproche de sa mort et cela le contente
et l'apaise.
Pétri de solitude, il a perdu l'habitude
de parler et sa voix chevrote et s'éraille à force de ne plus servir.
Car vieillir c'est aussi souffrir d'être de plus en plus seul et cela
est parfois bien plus redoutable que la mort. Finalement, il n'a pas
peur de mourir, s'en amuse même, avec provocation et crudité, comme pour
déstabiliser le lecteur car selon lui, la solitude, souvent renforcée
par la tristesse et la mélancolie, la douleur et l'angoisse rend bien
plus malade et c'est une véritable injustice que de devoir survivre à
celui qu'on aime et que de devoir supporter son souvenir le temps qu'il
reste à vivre. « Ce qui l'envahissait n'était pas la dépression,
mais cette malédiction afférente à la vieillesse ; ce n'était ni la
nostalgie, ni les regrets, mais simplement la mélancolie sous sa forme
la plus pure […] Cette forme se déversait sur lui pour l'inonder. »
Entre poésie et philosophie, grâce une écriture resserrée, une précision des mots, un sens épuré de la description, Gudbergur Bergsson
délivre une vision de la vieillesse, certes expurgée de tout
sentimentalisme mais imprégnée d'une émotion profonde, très belle qui
n'est pas sans rappeler le film de Mikael Haneke, « Amour ». « Nous
devînmes dépendants l'un de l'autre. Je savais que je ne me
débarrasserais d'elle qu'à ma mort ou à la sienne. Après avoir compris
que c'est dans le malheur qu'on est le plus unis. »
1 commentaire:
Après la trilogie de Stéfansson, je lis "La lettre à Helga" de Bergsveinn Birgisson. Je découvre par hasard votre blog et "Deuil", bien décidée à continuer mon exploration de la littérature islandaise qui me parle de cette île du bout du monde qui, je le sais, me restera toujours inaccessible.
Merci au traducteur de me permettre d'y aborder par le truchement de la lecture.
Enregistrer un commentaire