dimanche 25 octobre 2009

Et pourtant, il y a la lumière...



Voilà, c'est l'heure d'hiver. L'été s'est enfin décidé à plier bagage : les feuilles jaunissent, rougissent et brunissent. Elles ne tarderont plus à rejoindre la terre et à n'être que le souvenir de ce qui fut et, lentement, se désagège. En regardant par ma fenêtre, j'ai l'impression que certaines s'accrochent désespérément à leurs branches, que quelques unes, encore obstinément vertes, se refusent à changer de couleur. Pourtant, le vent de novembre se chargera de les chasser, il aura raison de leur vigueur et dénudera les arbres. Alors, l'été sera tout à fait mort. Allons, nous savons tous que les bonnes choses ont une fin, cela vaut également pour les plus belles saisons que la nostalgie est impuissante à nous rendre même si certains soleils, comme les feuilles des arbres, refusent de s'éteindre.


J'aimerais être en Islande, c'est le moment où la lumière décline à vive allure et où on se sent enveloppé par la nuit. Cette période me plaît, je préfère la lenteur à la précipitation, la contemplation à la consommation : on entend les tempêtes qui hurlent au dehors, on voit la neige qui tombe, doucement ou en bourrasques et la lumière, la lumière ennivrante de l'été passé n'est plus que l'ombre d'elle-même. C'est le moment où l'on médite en écoutant dans la nuit les voix agréables de la radio nationale RUV : toute une atmosphère difficile à exprimer, un peu comme si le temps se mettait en suspens. Parfois, on aimerait bien voir le temps se suspendre, on aimerait que certains moments s'immobilisent à l'infini...

Dans son dernier livre, qui vient de paraître en Islande, et sera certainement traduit chez Gallimard à la suite du sublime "Entre ciel et terre" (à paraître au début de l'an prochain), Jón Kalman Stefánsson dit la chose suivante : "því tíminn er stundum bölvað kvikindi, færir okkur allt til þess eins að taka það burt aftur" / "Car le temps est parfois cet infâme salaud qui nous apporte tout dans l'unique but de nous le reprendre". Le titre du chapitre est : "Sum orð eru skeljar í tímanum, og inni í þeim er kannski minningin um þig : Au creux du temps, certains mots forment des coquilles à l'intérieur desquelles, peut-être, repose le souvenir de toi." C'est simplement beau, qu'y a-t-il à ajouter? Je suis au début de cette lecture, elle sera lente. J'ai éprouvé un tel plaisir à lire puis traduire "Entre ciel et terre" que j'entends déguster longuement la suite : La tristesse des anges/ Harmur Englanna, avant de la traduire, l'an prochain.


J'entreprends ces jours-ci le grand ménage d'automne - il est grand temps - en commençant la traduction d'un nouveau livre d'Arni Thorarinsson : Sjöundi sonurinn/Le septième fils, qui sera publié aux Editions Métailié courant 2010. Bon livre, le ton ne diffère que peu des deux précédents, lesquels m'ont beaucoup plu. Dans l'ordre : Le temps de la sorcière et Le dresseur d'insectes, tous deux publiés chez Métailié et maintenant disponibles en Points au Seuil.

samedi 3 octobre 2009

Automne

J'ai une bonne nouvelle pour les admirateurs d'Arnaldur Indridason... J'ai envoyé, il y a peu, le manuscrit du prochain opus qui s'intitule Hypothermie, je l'ai traduit, plongé dans la chaleur de l'Aveyron, au mois d'août. Le livre paraîtra aux Editions Métailié en février 2010. Je ne raconterai pas un mot de l'histoire.
De mon côté, l'été fut bref, peuplé de fulgurances et septembre, précoce... Peut-être est-ce simplement la saison, à moins que ce ne soit l'effet de la lune montante de cette fin septembre ou simplement que le traducteur fatigue un peu.

dimanche 1 mars 2009

Critique de Gérard Meudal dans Le Monde pour Hiver Arctique et L'heure trouble

Parmi les choses qui font plaisir : un bel article de Gérard Meudal en date du 20.02.09. Il porte sur Hiver Arctique, d'Arnaldur Indridason et sur L'heure trouble du Suédois Johan Theorin, traduit par Rémy Cassaigne. Gérard Meudal parle de l'Islande comme d'une sorte de laboratoire sociologique, sa vision est parfaitement juste, me semble-t-il. Voici l'article!

Le laboratoire scandinave, par Gérard Meudal. LE MONDE DES LIVRES, 20.02.09

Et si l'Islande constituait un observatoire privilégié, une sorte de poste avancé où les mutations de nos sociétés se manifesteraient de manière plus évidente, plus radicale que partout ailleurs ? Après tout, cette île peuplée de seulement 300 000 habitants est passée à une vitesse foudroyante du statut de société traditionnelle de paysans et de pêcheurs à celui d'eldorado économique. Et on découvre aujourd'hui avec stupeur que ce pays prospère se retrouve du jour au lendemain au bord de la banqueroute en raison de la crise financière internationale.
Les auteurs de romans policiers islandais l'ont bien compris et leur chef de file, Arnaldur Indridason, se sert des aventures de son commissaire Erlendur pour radiographier une société bouleversée par des évolutions rapides et spectaculaires. Erlendur, dont le nom, paraît-il, signifie en islandais "étranger", est une sorte de laissé-pour-compte, originaire de la région des fjords de l'est, qui n'est en phase ni avec la ville de Reykjavik où il travaille ni avec la vie moderne (son fils est alcoolique et sa fille junkie).
Cinquième roman d'Arnaldur Indridason traduit en français, Hiver arctique traite justement du statut des étrangers dans un pays où l'immigration est un phénomène relativement récent. Sunee, une jeune Thaïlandaise, est venue vivre à Reykjavik après avoir épousé un Islandais rencontré à Bangkok. Ils ont eu un fils, Elias, qui, à 10 ans, est un modèle d'intégration, bon élève, gamin charmant apprécié de tous. Sunee avait déjà un fils en Thaïlande, Niran, qu'elle a fait venir auprès d'elle. Mais celui-ci, plus âgé, a beaucoup de mal à s'adapter. Après son divorce, Sunee élève seule ses deux enfants. On découvre un jour Elias poignardé devant chez lui alors qu'il rentrait de l'école.
Pour Erlendur, les pistes ne manquent pas : crime d'un pédophile (on vient justement d'en signaler un dans le quartier), meurtre lié aux trafics de drogue à la porte des établissements scolaires, crime raciste ? L'auteur en profite pour rappeler que, sur la base américaine de Keflavik, l'interdiction de faire venir des militaires noirs a "longtemps été stipulée dans les accords entre l'Islande et les USA". Erlendur prend l'affaire d'autant plus à coeur que lui-même, dans son enfance, a perdu un frère, disparu sans laisser de traces. Un drame dont il se sent responsable et ne s'est jamais remis.
C'est aussi d'un enfant qu'il est question dans L'Heure trouble, de Johan Theorin. Un roman qui justifie amplement l'engouement que connaît actuellement le polar suédois auprès des lecteurs français, et un auteur dont il va falloir retenir le nom. Ce premier livre, qui a obtenu en 2007 le Prix du meilleur roman policier suédois décerné par la Swedish Academy of Crime, se déroule sur l'île d'Oland, au sud-est de la Suède. Jens Davidsson, un petit garçon de 6 ans, passe des vacances au bord de la mer. Un jour qu'il est confié à la surveillance peu efficace de ses grands-parents, il en profite pour faire le mur et s'aventurer sur la lande avoisinante malgré un épais brouillard. On ne retrouvera plus jamais sa trace.
UN PENCHANT POUR L'ALCOOL
Est-il tombé à la mer ? A-t-il fait une mauvaise rencontre ? Toutes les battues et les recherches resteront vaines et l'enquête policière aboutira à une impasse. La famille en reste durablement meurtrie. La mère végète dans une dépression aggravée par un certain penchant pour l'alcool et le grand-père coule des jours pas vraiment paisibles dans une maison de retraite, jusqu'au jour où il reçoit un colis contenant une des sandales que portait le gamin le jour de sa disparition.
L'intérêt de l'enquête, c'est qu'elle n'est pas menée par de brillants policiers rompus aux méthodes d'investigation les plus subtiles, mais par deux êtres cabossés par la vie, la mère et le grand-père, qui, animés des meilleures intentions, n'en multiplient pas moins les pires maladresses. Les paysages de cette île de la mer Baltique sont magnifiquement évoqués mais, là encore, le décor n'est qu'un prétexte à analyser les mutations sociales. Car ce lieu réputé sauvage et invivable est devenu en quelques années - et c'est là que réside la clé de l'énigme - un paradis touristique pour le plus grand profit de quelques entrepreneurs avisés.
Hiver arctique (Vetrarborgin) d'Arnaldur IndridasonTraduit de l'islandais par Eric Boury,Métailié noir, 336 p., 19 €.
L'Heure trouble (Skumtimen) de Johan TheorinTraduit du suédois par Rémy Cassaigne,Albin Michel, 430 p., 19,50 €.
Gérard Meudal

jeudi 19 février 2009

Hiver Arctique d'Arnaldur Indriðason

Depuis quelques jours, Hiver arctique, le dernier livre d'Arnaldur Indriðason figure en tête des ventes sur le site Datalib, à la rubrique Polars-SF. On y retrouve le commissaire Erlendur, qui ne manque pas de raisons pour déprimer.
http://public.datalib.net/fonctions/top_ventes.php?page=1&cat=3
Et oui, les Islandais savent écrire et, pas seulement des romans policiers d'ailleurs! Voir ci-dessous...

Les Annales de Brekkukot


Je tiens à signaler la parution d'un très beau livre chez Fayard : Les Annales de Brekkukot. Une très belle traduction de Régis Boyer qui a su saisir toute l'ironie de Laxness, un auteur particulièrement difficile à traduire.


dimanche 1 février 2009

Ce blog n'est pas une tribune politique, mais tout de même, l'Islande a un nouveau premier ministre et pour la première fois, le chef du gouvernement est une femme. Son nom: Jóhanna Sigurðardóttir. Adressons-lui nos félicitations et surtout, souhaitons-lui beaucoup de courage, elle en aura besoin! Til hamingju Jóhanna og gangi þér vel!

samedi 31 janvier 2009



Au détour des pages de l'Internet, on trouve bien des choses, plus ou moins réjouissantes. Voici un article dont la lecture m'a particulièrement réjoui sous la plume de Thierry de Fages. L'article est élogieux et l'homme qui l'a écrit a saisi toutes les finesses d'une oeuvre que j'aime au plus haut point, l'un de mes romans préférés. Un immense merci à ce monsieur pour son bel article.

Je précise que trois romans d'Einar Mar Gudmundsson sont disponibles en traduction française. Le premier, Les anges de l'univers a reçu le Prix littéraire du Conseil Nordique en 1995. C'est un livre sublime, qui a été traduit, magnifiquement, par Catherine Eyjólfsson (je m'estime bien placé pour dire qu'elle a fait merveille car je sais à quel point cet auteur est difficile à rendre en français). Pour le second, Les chevaliers de l'escalier rond, il est paru chez Gaïa l'an dernier dans ma traduction et le troisième est Le Testament, thème de l'article ci-dessous. Avec les Editions Gaïa, nous envisageons de publier d'autres romans d'Einar Mar Gudmundsson (une trilogie), mais nous devrons attendre au moins un an à cause de mon programme surchargé...

LIEN vers LEMAGUE.NET : http://www.lemague.net/dyn/spip.php?article5578

LE TESTAMENT DES GOUTTES DE PLUIE…

Ecrivain islandais, né à Reykjavik en 1954, Einar Mar Gudmundsson est connu pour sa dizaine de romans et ses sept recueils de poèmes. Après « Les Chevaliers de l’escalier rond » (1985), son premier roman, paru chez Gaïa en 2007, la maison d’édition spécialisée dans les littératures nordiques vient de publier l’excellent Testament des gouttes de pluie…

L’étrange histoire du roman LE TESTAMENT DES GOUTTES DE PLUIE se déroule dans la banlieue de Reykjavik. Ombres passagères, jouets des caprices de la Nature, les personnages insignifiants (?) de cette fresque au parfum de fjords et de flatkökur (1) évoluent dans un théâtre de la quotidienneté au décor plutôt pluvieux. Il y a là un coiffeur casanier, un gardien du Jardin des plantes tournant en rond, un sellier sans âge, captivant par ses contes les pêcheurs du coin lors de banquets arrosés, un pasteur tourmenté, possédé par sa mission éducative. Il y a aussi des écoliers, des oiseaux géants, des sirènes, des bateaux-fantômes…

Gudmundsson a une jolie formule pour exprimer son tempérament littéraire. Il tente d’examiner ce que « la réalité recèle de magique en même temps que la part de la réalité que la magie recèle ». Parfois, l’on songe à la lecture du TESTAMENT DES GOUTTES DE PLUIE au réalisme magique de certains auteurs d’Amérique latine. Mine de rien, l’auteur nous bluffe par une méticuleuse description d’une petite ville islandaise avec son école, son église, son salon de coiffure, son asile psychiatrique, ses pêcheurs et ses notables. L’auteur semble gentiment se moquer de tout ce beau monde en lui prêtant certains traits islandais.

Le style évocateur de Gudmundsson, par sa verve gargantuesque, nous plonge dans un climat à la fois naïf, comique et magique, lorgnant vers les rivages - en apparence paisibles - de la fable et du conte. Parfois une touche « enfantine » et une tonalité anarchiste à la Roald Dahl viennent colorer ce curieux TESTAMENT. D’autres fois, c’est un univers fantastique, jubilatoire et inquiétant qui surgit comme ici : […] « Quelqu’un voit des anges planer sur leurs ailes noir corbeau et d’immémoriaux oiseaux de mauvais augure avec des têtes de trolls viennent visiter les rêves des enfants qui sommeillent, blottis dans leurs lits et innocents dans les grands immeubles […]

La première phrase du TESTAMENT DES GOUTTES DE PLUIE crépite ainsi : « Au moment où le tonnerre et les éclairs explosent au-dessus de la ville obscure blottie dans le soir, on dirait que dans les airs retentit un concert d’innombrables instruments électriques. » Le panthéisme aux relents sensuels et mystiques de Gudmundsson se fond dans la symbolique de l’eau. Et l’on songe à « La Cloche d’Islande » (1943), célèbre roman de l’Islandais Halldor Laxness : « Il ne faut qu’à peine 10 minutes – à travers la lande qui embaume le thym sauvage et les bourgeons des bouleaux arctiques – pour arriver au sommet de la colline où on entend déjà le sourd martèlement de l’eau sur les colonnes de basalte noir. La cascade, d’une beauté incroyable, se jette avec grâce du haut d’une falaise noire […]

Dans son pénétrant roman, Gudmundsson nous suggère l’éternelle - et improbable - combinaison de l’immobilité, celle d’une petite ville pétrifiée par la routine et peuplée d’habitants solitaires et du mouvement, celui d’une nature indomptable. Mer, nuages, pluie, éclairs, tempête…Triomphe de la Nature, emportant tout. « Ils errent entre les maisons autour de la nuit ; autour de la mort, des gouttes de la pluie et de la nuit. », écrit Gudmundsson évoquant les marins.

« Au-dessus de la ville obscure et blottie dans le soir, on n’entend plus rien dans l’air, plus rien que le flic-flac des gouttes de pluie cristallines. », nous chuchote à l’oreille le romancier, fin observateur du pays des terres glacées et volcaniques. THIERRY DE FAGES

(1) épaisses galettes de farine sans levure cuites à même la plaque, on les consomme souvent avec les plats typiquement islandais comme le hangikjot, mouton fumé [note du traducteur]

LE TESTAMENT DES GOUTTES DE PLUIE
Roman d’Einar Mar Gudmundsson, traduit de l’islandais par Eric Boury, éditions Gaïa, collection « Catalogue général », 249 pages, 2008. Prix : 21 euros

samedi 24 janvier 2009

Hiver Arctique

MORCEAU CHOISI :
"Quand Erlendur rentra enfin chez lui, il n’alluma pas la lumière et alla directement s’asseoir dans son fauteuil, heureux de pouvoir enfin se détendre. Il regarda par la fenêtre en réfléchissant à Eva Lind et à ce rêve qu’elle voulait lui raconter.
Il vit un cheval qui se débattait dans les sables mouvants, les yeux exorbités et les naseaux dilatés à l’extrême. Il entendit le bruit de l’aspiration au moment où l’animal parvint à libérer l’une de ses pattes, avant de s’enfoncer plus profondément dans le piège qui se refermait sur lui.
Il désirait avoir l’âme en paix. Il désirait voir les étoiles cachées par les nuages afin d’y trouver la tranquillité, l’assurance qu’il existait quelque chose de plus vaste et de plus important que sa propre conscience, l’assurance de pouvoir se perdre, ne serait-ce qu’un instant, dans les immensités de l’espace et du temps.

La famille était légèrement à l’étroit dans la petite maison aujourd’hui abandonnée. Les deux frères devaient partager la même chambre. Leurs parents occupaient la seconde. Il y avait aussi une grande cuisine prolongée par une remise ainsi qu’une petite salle à manger avec de vieux meubles et des photos de famille dont certaines se trouvaient aujourd’hui accrochées aux murs de l’appartement d’Erlendur. Il se rendait toujours dans les Fjords de l’Est à quelques années d’intervalle et passait la nuit dans les ruines de ce qui avait autrefois été sa maison. De là, il montait à pied ou à cheval sur la lande où il dormait à la belle étoile. Il appréciait de voyager seul et aimait sentir peu à peu la profonde solitude l’envahir sur les lieux de son enfance, peuplés de moments enfouis dans ce passé encore si fortement imprimé en lui, des moments dont il avait, encore aujourd'hui, la nostalgie. Il savait que ce passé ne survivait qu’à travers lui. Que lorsqu’il quitterait ce monde, ce serait comme si rien de tout cela n’avait jamais existé."
Arnaldur Indridason, Hiver Arctique, à paraître le 5 février aux Editions Métailié.