dimanche 1 mars 2009

Critique de Gérard Meudal dans Le Monde pour Hiver Arctique et L'heure trouble

Parmi les choses qui font plaisir : un bel article de Gérard Meudal en date du 20.02.09. Il porte sur Hiver Arctique, d'Arnaldur Indridason et sur L'heure trouble du Suédois Johan Theorin, traduit par Rémy Cassaigne. Gérard Meudal parle de l'Islande comme d'une sorte de laboratoire sociologique, sa vision est parfaitement juste, me semble-t-il. Voici l'article!

Le laboratoire scandinave, par Gérard Meudal. LE MONDE DES LIVRES, 20.02.09

Et si l'Islande constituait un observatoire privilégié, une sorte de poste avancé où les mutations de nos sociétés se manifesteraient de manière plus évidente, plus radicale que partout ailleurs ? Après tout, cette île peuplée de seulement 300 000 habitants est passée à une vitesse foudroyante du statut de société traditionnelle de paysans et de pêcheurs à celui d'eldorado économique. Et on découvre aujourd'hui avec stupeur que ce pays prospère se retrouve du jour au lendemain au bord de la banqueroute en raison de la crise financière internationale.
Les auteurs de romans policiers islandais l'ont bien compris et leur chef de file, Arnaldur Indridason, se sert des aventures de son commissaire Erlendur pour radiographier une société bouleversée par des évolutions rapides et spectaculaires. Erlendur, dont le nom, paraît-il, signifie en islandais "étranger", est une sorte de laissé-pour-compte, originaire de la région des fjords de l'est, qui n'est en phase ni avec la ville de Reykjavik où il travaille ni avec la vie moderne (son fils est alcoolique et sa fille junkie).
Cinquième roman d'Arnaldur Indridason traduit en français, Hiver arctique traite justement du statut des étrangers dans un pays où l'immigration est un phénomène relativement récent. Sunee, une jeune Thaïlandaise, est venue vivre à Reykjavik après avoir épousé un Islandais rencontré à Bangkok. Ils ont eu un fils, Elias, qui, à 10 ans, est un modèle d'intégration, bon élève, gamin charmant apprécié de tous. Sunee avait déjà un fils en Thaïlande, Niran, qu'elle a fait venir auprès d'elle. Mais celui-ci, plus âgé, a beaucoup de mal à s'adapter. Après son divorce, Sunee élève seule ses deux enfants. On découvre un jour Elias poignardé devant chez lui alors qu'il rentrait de l'école.
Pour Erlendur, les pistes ne manquent pas : crime d'un pédophile (on vient justement d'en signaler un dans le quartier), meurtre lié aux trafics de drogue à la porte des établissements scolaires, crime raciste ? L'auteur en profite pour rappeler que, sur la base américaine de Keflavik, l'interdiction de faire venir des militaires noirs a "longtemps été stipulée dans les accords entre l'Islande et les USA". Erlendur prend l'affaire d'autant plus à coeur que lui-même, dans son enfance, a perdu un frère, disparu sans laisser de traces. Un drame dont il se sent responsable et ne s'est jamais remis.
C'est aussi d'un enfant qu'il est question dans L'Heure trouble, de Johan Theorin. Un roman qui justifie amplement l'engouement que connaît actuellement le polar suédois auprès des lecteurs français, et un auteur dont il va falloir retenir le nom. Ce premier livre, qui a obtenu en 2007 le Prix du meilleur roman policier suédois décerné par la Swedish Academy of Crime, se déroule sur l'île d'Oland, au sud-est de la Suède. Jens Davidsson, un petit garçon de 6 ans, passe des vacances au bord de la mer. Un jour qu'il est confié à la surveillance peu efficace de ses grands-parents, il en profite pour faire le mur et s'aventurer sur la lande avoisinante malgré un épais brouillard. On ne retrouvera plus jamais sa trace.
UN PENCHANT POUR L'ALCOOL
Est-il tombé à la mer ? A-t-il fait une mauvaise rencontre ? Toutes les battues et les recherches resteront vaines et l'enquête policière aboutira à une impasse. La famille en reste durablement meurtrie. La mère végète dans une dépression aggravée par un certain penchant pour l'alcool et le grand-père coule des jours pas vraiment paisibles dans une maison de retraite, jusqu'au jour où il reçoit un colis contenant une des sandales que portait le gamin le jour de sa disparition.
L'intérêt de l'enquête, c'est qu'elle n'est pas menée par de brillants policiers rompus aux méthodes d'investigation les plus subtiles, mais par deux êtres cabossés par la vie, la mère et le grand-père, qui, animés des meilleures intentions, n'en multiplient pas moins les pires maladresses. Les paysages de cette île de la mer Baltique sont magnifiquement évoqués mais, là encore, le décor n'est qu'un prétexte à analyser les mutations sociales. Car ce lieu réputé sauvage et invivable est devenu en quelques années - et c'est là que réside la clé de l'énigme - un paradis touristique pour le plus grand profit de quelques entrepreneurs avisés.
Hiver arctique (Vetrarborgin) d'Arnaldur IndridasonTraduit de l'islandais par Eric Boury,Métailié noir, 336 p., 19 €.
L'Heure trouble (Skumtimen) de Johan TheorinTraduit du suédois par Rémy Cassaigne,Albin Michel, 430 p., 19,50 €.
Gérard Meudal