Après une absence longue de deux semaines, loin des perturbations d'Internet pour cause de traduction intensive, on peut avoir bien des surprises, bonnes et moins bonnes. En voici une très bonne. Martine Laval a écrit sur Entre ciel et terre de Jón Kalman Stefánsson, le magnifique article que voilà, où elle a saisi toute la beauté de ce livre... Elle lui attribue quatre étoiles, le maximum prévu par Télérama.
Entre ciel et terre Jón Kalman Stefánsson, Roman.
Entre ciel et terre, il y a la mer, celle d'Islande, versatile, calme dans ses profondeurs, tourmentée à sa surface où elle nargue une lumière aux couleurs froides. Il y a le temps, immuable comme les étoiles, ces lointaines étrangères, parfois boussoles, parfois ennemies. Ici, en ces confins, le jour s'écoule, le soir se pose, le silence enveloppe toute chose, toute âme. Le vent colporte bien quelques paroles, mais elles sont vite emportées par l'oubli. Entre ciel et terre, il y a des mots, ceux de Jón Kalman Stefánsson, écrivain islandais pour la première fois traduit en français avec une grâce inouïe par Eric Boury. Ces mots-là sont « des brigades de sauveteurs » qui jamais ne renoncent à leur quête, arracher au vide - enfer ou paradis - des vies noyées dans l'indifférence.
Une histoire de pêcheurs à la morue, de marins perdus dans l'âpreté des jours et des nuits, de gamin blessé à jamais, de son camarade trop épris de poésie, de gelures et de solitude, de trahison et de rédemption, de capitaine aveugle épris de littérature qui navigue sur des « cartes de géographies obsolètes », rien que de pauvres livres rescapés dont la prose défie les abysses. L'un d'eux est signé Milton, poète anglais, aveugle lui aussi. Il s'intitule Paradis perdu.
Entre ciel et terre - le roman - est un requiem à la force tellurique. Il enfle et se déchire comme un long poème venu des ténèbres, parle de souffrances et de croyances, de mal de vivre et d'infortune, d'amitié déchirée et de destinée malmenée. Récit initiatique, quête métaphysique, explosion des sens ? Il y a dans cette écriture au long souffle, à la tendresse palpable, quelque chose de miraculeux qui serait magie des images, magie des mots, « de ceux dont on peut se passer pour survivre, mais pas pour vivre ». Jón Kalman Stefánsson fait se découvrir l'impalpable, lui insuffle fureurs et mélancolies et convie le lecteur, non sans dérision, à sombrer avec elles : « C'est dans nos propres souvenirs que nous plongeons, c'est là que se trouve le fil qui nous relie à l'existence. Des souvenirs de ces jours où nous étions on ne peut plus vivants, ces jours où il neigeait, où il pleuvait sur nos vies, ces moments brûlants de soleil, sombres de nuit... »
Histoire d'un autre temps, d'un autre monde, Entre ciel et terre explore la lisière entre songes et réalités, conscience et innocence, trace une route vertigineuse à travers le fracas de l'humanité et nous invite à cheminer avec un gamin porteur d'espérance, messager malgré lui d'une poésie intemporelle. Celle nichée dans un livre meurtrier... « Il veut atteindre l'essentiel, quel qu'il soit, il voudrait découvrir si l'essentiel existe, mais il est parfois difficile de réfléchir et de lire quand on est tout vermoulu après une journée épuisante à ramer. Ses pensées peuvent être tellement lourdes qu'il parvient à peine à les soulever, alors, il est à des lieues de l'essentiel. » On lui souffle deux mots. Loyauté. Amitié.
Martine Laval Telerama n° 3144 - 17 avril 2010
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Entre ciel et terre Jón Kalman Stefánsson, Roman.
Entre ciel et terre, il y a la mer, celle d'Islande, versatile, calme dans ses profondeurs, tourmentée à sa surface où elle nargue une lumière aux couleurs froides. Il y a le temps, immuable comme les étoiles, ces lointaines étrangères, parfois boussoles, parfois ennemies. Ici, en ces confins, le jour s'écoule, le soir se pose, le silence enveloppe toute chose, toute âme. Le vent colporte bien quelques paroles, mais elles sont vite emportées par l'oubli. Entre ciel et terre, il y a des mots, ceux de Jón Kalman Stefánsson, écrivain islandais pour la première fois traduit en français avec une grâce inouïe par Eric Boury. Ces mots-là sont « des brigades de sauveteurs » qui jamais ne renoncent à leur quête, arracher au vide - enfer ou paradis - des vies noyées dans l'indifférence.
Une histoire de pêcheurs à la morue, de marins perdus dans l'âpreté des jours et des nuits, de gamin blessé à jamais, de son camarade trop épris de poésie, de gelures et de solitude, de trahison et de rédemption, de capitaine aveugle épris de littérature qui navigue sur des « cartes de géographies obsolètes », rien que de pauvres livres rescapés dont la prose défie les abysses. L'un d'eux est signé Milton, poète anglais, aveugle lui aussi. Il s'intitule Paradis perdu.
Entre ciel et terre - le roman - est un requiem à la force tellurique. Il enfle et se déchire comme un long poème venu des ténèbres, parle de souffrances et de croyances, de mal de vivre et d'infortune, d'amitié déchirée et de destinée malmenée. Récit initiatique, quête métaphysique, explosion des sens ? Il y a dans cette écriture au long souffle, à la tendresse palpable, quelque chose de miraculeux qui serait magie des images, magie des mots, « de ceux dont on peut se passer pour survivre, mais pas pour vivre ». Jón Kalman Stefánsson fait se découvrir l'impalpable, lui insuffle fureurs et mélancolies et convie le lecteur, non sans dérision, à sombrer avec elles : « C'est dans nos propres souvenirs que nous plongeons, c'est là que se trouve le fil qui nous relie à l'existence. Des souvenirs de ces jours où nous étions on ne peut plus vivants, ces jours où il neigeait, où il pleuvait sur nos vies, ces moments brûlants de soleil, sombres de nuit... »
Histoire d'un autre temps, d'un autre monde, Entre ciel et terre explore la lisière entre songes et réalités, conscience et innocence, trace une route vertigineuse à travers le fracas de l'humanité et nous invite à cheminer avec un gamin porteur d'espérance, messager malgré lui d'une poésie intemporelle. Celle nichée dans un livre meurtrier... « Il veut atteindre l'essentiel, quel qu'il soit, il voudrait découvrir si l'essentiel existe, mais il est parfois difficile de réfléchir et de lire quand on est tout vermoulu après une journée épuisante à ramer. Ses pensées peuvent être tellement lourdes qu'il parvient à peine à les soulever, alors, il est à des lieues de l'essentiel. » On lui souffle deux mots. Loyauté. Amitié.
Martine Laval Telerama n° 3144 - 17 avril 2010
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