samedi 27 avril 2013

Deuil, Gudbergur Bergsson


A lire... Si ce n'est déjà fait, un livre grave, âpre et nécessaire. Eric Chevillard en parle dans le Monde des livres du 21 mars 2013, il suffit pour le lire de suivre le lien que voici. Je suis en retard pour le signaler, mais je traduisais à un rythme frénétique. Et maintenant, rédaction de fiches de lecture, relectures, lectures multiples, préparation d'une communication qui s'inscrira dans le cadre d'un colloque organisé par la fondation Vigdís Finnbógadóttir en l'honneur de Guðbergur Bergsson. Le titre de mon intervention sera : Rithöfundar og þýðendur : Furðufuglar af sömu sauðahúsi ? / Ecrivains et traducteurs : Oiseaux rares de même pelage ? 

En entre temps, quelques pages de traduction du prochain Indridason, à paraître en février aux Editions Métailié. 


Voici ce que j'avais écrit à propos du livre avant de le traduire, merci à Anne-Marie Métailié d'avoir relevé le pari ! 


"Un vieil homme attend que l’eau entre en ébullition dans sa bouilloire électrique tandis qu’allongé dans son lit, il vient de retirer ses boules Quiès et remonte le fil de son existence. Plongé dans une profonde méditation sur l’essence de la vie, son caractère fugace et sur les événements qui ont marqué la sienne, il se laisse porter par les associations d’idées et les souvenirs épars reviennent à la surface de sa mémoire, par vagues. L’ensemble de la narration est construit sur le mode alterné du monologue intérieur et du récit à la troisième personne. En réalité, l’homme allongé dans le lit, entre le sommeil et la veille, avoue qu’il n’attend rien du tout : il a perdu sa femme et sa jeunesse, il se contente de s’accrocher à la vie alors qu’il n’a plus rien à en espérer et que tout simplement, il ne désire plus la poursuivre, victime de la vieillesse qu’il considère comme une malédiction : l’auteur dédie d’ailleurs le livre à la génération de l’éternelle jeunesse.

L’eau qui va bientôt bouillir est le seul lien qui l’unit à la réalité extérieure, c’est l’attente de cette ébullition qui ponctue le livre. Elle est aussi le symbole de cette vie qui s’échappe lentement de lui, de ce passé qui se vaporise et s’enfuit, se voit réduit à néant par le temps, la vieillesse souvent oublieuse et son corollaire, la mort. Au fil de l’histoire, le lecteur apprend que l’épouse du narrateur est récemment décédée. Elle a voulu être incinérée et son mari conserve les cendres dans son salon. Il lui avait promis un voyage en bateau jusqu’aux îles Féroé alors, chaque matin, il mélange une cuiller de ses cendres à son thé ou à son café avant de le boire, ainsi, même défunte, elle l’accompagnera – presque physiquement – dans ce voyage. Accomplit-il là un ultime acte d’amour ? Pas vraiment : certes, il avoue qu’il aime sa femme, il l’a aimée jusqu’à sa mort, il a aimé jusqu’à son cadavre, mais les souvenirs qu’il expose soulignent combien leur cohabitation était difficile, surtout vers la fin de sa vie, vie qu’il avait d’ailleurs envisagé d’abréger, autant par altruisme, pour la soulager de la déchéance due à la maladie, que par égoïsme, pour retrouver son indépendance et sa liberté. Mais quelle liberté ? Elle semble ici n’exister que bien peu : le couple et l’ensemble des relations humaines sont vues comme des jeux de pouvoir où chacun tente d’opprimer l’autre. La vie commune demande bien des compromis, lesquels, du point de vue du narrateur, égalent compromissions. Compromissions et pièges dans lesquels, est-il noté quelque part, l’être humain s’engage à la fois de gré et de force.

A la fin de ce livre sans concessions sur la vieillesse, la déchéance physique ou mentale qu’elle entraîne, et sur les relations entre les êtres, le lecteur est presque perdu, pris de vertige entre les couches temporelles, entre les époques qui se superposent : l’homme allongé dans le lit est-il vivant, n’assiste-t-on pas à son trépas en temps réel ? A moins qu’il ne soit l’un de ces morts qui ne sont pas encore partis dans l’au-delà et refusent de quitter la terre des vivants ? Peut-être n’est-ce pas vraiment la question, les interrogations que soulève l’œuvre sont plus vastes : que reste-t-il de nous, en fin de compte, puisque toute chose passe et s’efface, que reste-il de ce que nous avons été, de ce que nous avons accompli ? Peut-on jamais considérer avoir accompli quelque chose une fois qu’on se retrouve plongé dans la solitude, exclu du monde pour cause d’âge trop avancé ? Les réponses qu’apporte Guðbergur sont assez terribles : nous naccomplissons que peu de chose, il ne reste de nous en fin de compte quun presque rien, mais ce presque rien est important, capital et sa disparition génère un vertige qu’il exprime en 120 pages denses de mots magnifiques et simples, une histoire ponctuée de réflexions philosophiques et de fulgurances poétiques. Un très beau texte, crépusculaire." © Eric Boury / Editions Métailié.