mercredi 15 octobre 2008

SJÓN, Sur la paupière de mon père / Með titrandi tár

Aujourd'hui est paru Sur la paupière de mon père de Sjón. C'est une oeuvre poétique et surprenante, où l'imaginaire règne en maître, se mêlant de façon grandiose à une réalité parfois tout aussi "loufoque" que l'imagination elle-même. Sjón convie son lecteur à un grand banquet de mots, il lui offre un symphonie de clins d'oeil avec un plaisir de raconter qui jamais ne s'essouffle. Il reprend les mythes islandais ou mondiaux, mélangeant joyeusement Bible et mythologie nordique, sources grecques, sagas islandaises, contes populaires, Histoire récente et ancienne, Guerre froide et Seconde guerre mondiale. Sjón jongle avec une légèreté sans pareille. Il semble s'amuser à nous perdre avant de nous surprendre en nous prouvant que, s'il nous a perdus, ce n'est que pour mieux nous amener à nous retrouver puisque, dans cette oeuvre, chaque mot compte et chaque chose, même apparamment déplacée, est parfaitement à sa place. Un livre jubilatoire qui mérite d'être découvert par les amoureux de la littérature et de la poésie, par les amoureux de la vie.



samedi 4 octobre 2008


La suite du Temps de la Sorcière d'Arni Thorarinsson est parue aux Editions Métailié il y a deux jours. Ce nouvel opus des aventures d'Einar s'intitule Le Dresseur d'insectes. Arni Thorarinsson continue d'y explorer la culture et la société de son pays natal avec lequel il n'est pas tendre. Chaque famille a ses cadavres dans le placard et la société islandaise est une grande famille. Le dresseur d'insectes est un livre humain, on y apprend beaucoup de choses sur l'Islande et le mythe de la nation presque parfaite prend encore une fois du plomb dans l'aile. Les personnages sont bien construits et d'une grande justesse psychologique : celui de Victoria, très touchant, est une merveille. Quant à Einar, il est très en forme.

Voici ce qu'en dit Bernard Strainchamps : "Certes, l’Islande en hiver ressemble à la fin du monde : un désert noir et blanc de lave et de glace. Sans doute la raison pour laquelle l’Islande détient le record des pays où on lit le plus au monde. Mais l’Islande n’avait pas de tradition d’écriture de roman policier. Or dans ce pays où la population est équivalente à celle de Nantes, il y a aujourd’hui 10 auteurs de roman policier dont trois traduits en France.
Même si il y a une vraie vague du polar nordique en France, que le lecteur est donc cuit pour lire n’importe quoi, c’est assez fou. L’Islande n’a eu qu’une médaille d’argent aux derniers JO. Mais elle cartonne en Cinéma, en musique, et maintenant en polar !
Les lecteurs français ont plébiscité Erlendur, l’anagramme à une lettre près de Arnaldur. Mais si ! vous connaissez ce commissaire de la police criminelle à Reykjavik, personnage inventé par Arnaldur Indridason. Divorcé, souvent déprimé, il ne mange que des plats réchauffés au micro-ondes. Et comme Wallander, il a des relations très difficiles et conflictuelles avec sa fille. Et pour notre plus grand bonheur des lecteurs, il est étranger - Erlendur veut dire étranger en Islandais- à « une société trop exemplaire, trop hypocrite qui pèse comme une chape de plomb sur ses habitants ». Car rendez-vous compte : les Islandais ont la « nostalgie d’un eden, la douleur d’avoir à renoncer à cette idée que l’Islande, ce territoire de 103 00 Km² (1/5e de la France) peuplé de 288 000 habitants, où le taux de chômage atteint à peine 3%, n’est pas un cocon de solidarité, une contrée magique à l’abri du crime et de la bassesse, mais une société gangrenée par la violence, qui plus est dans le secret. »
Depuis un an, Erlendur a un petit frère : Einar. C’est un nom assez commun en Islande, proche du mot « einn » qui veut dire seul ou solitaire. Einar est journaliste, personnage récurant inventé par Arni Thorarinsson, publié en France, toujours par les mêmes éditions Métailié. Le temps de la sorcière, son premier roman traduit, a été vendu il y a un an comme le nouveau Millénium. Cette comparaison m’avait alors laissé sceptique. Einar est moins borderline que Lisbeth et Mikael Blomkvist. Même si les sujets abordés et la manière de les mettre en scène se ressemblent. Du Simenon à l’aquavit ! A la lecture de son deuxième roman à paraitre en octobre et intitulé Le dresseur d’insectes, j’ai changé d’avis. Et j’espère que vous allez plébisciter cet auteur. Thorarinson déclare dans une interview publiée sur Bibliosurf, « Einar est conduit par son sens de la justice, sa curiosité, mais il n’est pas politiquement correct. Il n’arrive pas à trouver un équilibre psychologique, mais il ne cesse d’essayer. Il est conscient de ses propres préjugés. Il se moque de lui-même. Dans un certain sens, il est sa propre parodie, et il le sait. » Dans cette dernière enquête, il va jusqu’à se faire interner dans un centre de désintoxication par ce qu’il a appris que son informatrice y a été assassinée. Alcoolique en rémission, il est toujours prêt à nous surprendre.
Arni Thorarinsson n’écrit pas des romans à la Crumley ou Pete Dexter. Mais il ne faut pas bouder son plaisir. C’est un roman noir plein d’humour, de vivacité et de suspense. Un bon remède à la morosité ambiante."

NB : Il y a une petite erreur sur les chiffres mentionnés par Bernard : la population islandaise a dépassé les 300.000 individus, mais bon, c'est un point de détail. J'ajoute qu'étant donné la conjoncture économique actuelle et le marasme monétaire (la couronne islandaise à perdu la moitié de sa valeur en quelques mois!) que le pays connaît depuis quelques mois, il y a fort à parier que le chômage, dont le taux a toujours été très bas en Islande, franchisse allègrement la barre des 3%.








Le temps de la sorcière est paru en poche chez Points Seuil en même temps que le second opus des aventures d'Einar chez Anne-Marie Métailié. C'est un très bon roman que j'ai eu grand plaisir à lire avant de le traduire.

Le texte qui suit a été écrit par Philippe Bouquet, traducteur et critique littéraire, dans le Bulletin Critique du Livre Français :

"Voici encore un « polar venu du froid ». La série commence à être longue (et inégale), mais celui-ci réjouira les lecteurs un peu exigeants. Il se caractérise par un ton absolument délicieux à base d’humour et d’ironie (et toutes les variétés intermédiaires, à commencer par l’auto-ironie). C’est l’histoire d’un journaliste dans la quarantaine, Einar, envoyé en « exil » dans le nord du pays, à Akureyri (une bonne carte d’état-major est recommandée pour situer la plupart des lieux) afin d’y chroniquer la « criminalité à petite échelle » du secteur : menu trafic de drogue, bagarres d’ivrognes et rixes entre indigènes et immigrés (dans ce pays où chacun, à l’origine, était un immigré !) Sans compter la disparition du chien d’Asbjörn Grimson et de Karolina ou le décès d’Asdis Björk au cours d’une partie de rafting organisée par son entreprise pour motiver son personnel et qui tourne mal. Les choses se corsent avec la découverte, sur une décharge, du cadavre carbonisé d’un lycéen qui devait tenir le rôle principal d’une pièce de théâtre. Pour avoir voulu se mêler de l’enquête, Einar est l’objet d’une tentative de meurtre sur la personne de… sa perruche (sauvée par l’intervention d’une karateka femelle). Et il voit Joa, sa photographe, pour qui il en pince un peu, entamer une relation lesbienne. Heureusement, il lui reste sa perruche. Pas drôle, donc, la vie dans ces contrées boréales – mais le lecteur, lui, ne s’embête pas. Il peut même admirer l’habileté avec laquelle l’auteur noue des fils très complexes et disparates et les relie à des notions aussi spécifiquement islandaises que le « Heaume de terreur » ou un lieu aussi important dans l’histoire du pays que l’évêché de Holar, mais aussi avec la criminalité en col blanc, le rock, le théâtre et le cinéma – pour ne pas parler du téléphone portable, lequel peut servir à tout autre chose qu’à téléphoner, comme chacun sait. Ajouter un soupçon de Narcistic personality disorder, une pincée de mondialisation et secouer. Voilà, le cocktail est prêt : il est assez corsé, un peu vertigineux et pas très optimiste : « Est-il possible que les gens aient des enfants ? Si c’est le cas, comment vont-ils ? Dans quel état sont-ils ? » se demande l’(anti-)héros de cette histoire. Au total : du travail d’artiste, servi par une bonne traduction, et un régal de lecture. L’excellent Arnaldur Indridason (publié en France chez le même éditeur) trouve là un sérieux concurrent. Après tout, la saga n’est peut-être pas un genre aussi mort qu’on le croit parfois et les scaldes étaient des virtuoses dans l’art de la tresse littéraire. Beau sang ne saurait mentir." Philippe Bouquet.