lundi 12 novembre 2007

Les chevaliers de l'escalier rond







La critique suivante est parue sur le site : papercuts.fr à propos des Chevaliers de l'escalier rond d'Einar Már Guðmundsson, publié chez Gaïa.




" Les Chevaliers de l’Escalier Rond, c’est un peu le Petit Nicolas chez les scandinaves avec l’impertinence de Calvin et Hobbes. Mais ces parentés n’empêchent pas ce roman d’être un livre rare. Peu commun d’abord puisque la maison d’édition Gaïa a choisi de le publier sur des pages roses pâles afin d’en optimiser le confort de lecture ; ensuite parce qu’Einar Már Guðmundsson possède un talent sans pareil pour retrouver le ton de l’enfance. L’auteur précise s’intéresser à « ce que la réalité recèle de magique en même temps que la part de réalité que la magie recèle ». S’il s’agit ici de son second ouvrage traduit en français, Les Chevaliers de l’Escalier Rond est pourtant le premier roman de l’islandais, coup d’essai remarqué avant qu’il soit consacré en 1995 par le Prix Littéraire du Conseil des Pays Nordiques pour Les Anges de l’Univers, paru en France chez Flammarion.

L’histoire de ce roman ? Rien de plus simple, le héros, Jόhann, nous raconte les petits et grands tracas d’un enfant des années 60 dans les quartiers populaires de Reykjavík, capitale de l’Islande. Mais cela pourrait se passer dans n’importe quelle autre grande ville européenne de l’époque, avec ses nouveaux immeubles en construction, et son équilibre fragile entre laxisme et autorité. Un simple coup de marteau qu’il donne sur la tête de son ami Olí, et toute l’existence de Jόhann s’en retrouve bouleversée. Imaginez : notre jeune héros se retrouve privé de l’anniversaire d’ Olí, sans conteste la meilleure fête de l’année puisque l’oncle de l’hôte, athlétique policier, vient y faire une démonstration de ses muscles !

Avec cette trame narrative simple, et ses rebondissements parfois futiles, Einar Már Guðmundsson nous prouve que l’histoire n’a que peu d’importance pourvue qu’elle soit bien racontée. La plume de l’auteur est si virevoltante, que nous découvrons haletants les suspens de pacotille qui jalonnent les journées d’un petit de sept ans.

« Olí hurle. Olí tremble. La tête d’ Olí se transforme en plusieurs têtes. Olí a quatre têtes. Et puis gloup : de ses cheveux coupés en brosse, un petit œuf blanc, et les larmes semblent précéder le passage d’ Olí quand il franchit la porte de la cave de l’immeuble. » Ou : « J’envisage la possibilité d’aller me noyer dans le bocal à poissons de mon grand frère ou bien de disparaître dans l’un des tiroirs du bureau. Je lève les yeux vers la fenêtre au cas où la magicienne des histoires enfantines essaierait d’entrer en contact avec moi. »

Avec le narrateur, nous redécouvrons les choses sous un regard neuf. A travers des yeux d’enfant, tout se teinte de merveilleux, l’imagination transforme le quotidien en donnant à chaque détail un sens nouveau. Cette retranscription minutieuse des digressions propre à la jeunesse donne lieu à de très savoureux passages, sur les coupes masculines courtes par exemple, les bienfaits d’une doudoune à capuche et tant d’autres petits riens éparpillés sur notre route.

Peut-être faudrait-il également saluer le travail du traducteur, Eric Boury, qui a su conserver la cocasserie joliment naïve dont Guðmundsson pimente son écriture ; pour preuve, quelques titres de chapitres : « Je sens que j’ai le nez qui sanglote », « Messages en langue des doigts », ou le moins poétique « Mal aux roupettes ». Comme devant un bambin maladroit qui reprend avec ses mots les expressions d’adulte, on ne peut s’empêcher de sourire à la lecture des Chevaliers de l’escalier rond.

Ce chaleureux roman venu du froid est un petit plaisir de lecture rare où humour et poésie sont mêlés avec délicatesse. Et lorsque la tragédie arrive, l’auteur l’évoque avec pudeur, à demi-mot et, comme les sourires précédemment esquissés, l’émotion s’invite à la lecture… Il n’y a décidément pas d’âge pour se redécouvrir une âme d’enfant. "

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